Le Contrat Social - anno I - n. 3 - luglio 1957

152 avant tout ; bon musulman - à sa façon ; mais Arabe? Là est le point d'interrogation. · Arabes et Bédouins CHEZTOUTESles populations que nous venons de. d~crire, si diverses d'origines, de langues, de religions, le nom d' Arabes restait jusqu'à présent réservé aux tribus issues de l'Arabie, notamment aux Bédouins 9 et aux assimilés (tels les nomades arabisés des hauts plateaux algériens); ou encore aux familles et clans sédentaires descendant ou prétendant descendre des conquérants et immigrants des premiers siècles de l'islam. Définition relativement étroite, reconnue par tous les intéressés : pour le fellah, l'Arabe était essentiellement le nomade, et le Bédouin à son tour n'était pas e~clin à accorder le titre d' Arabes aux gens des villes et des campagnes. Notion précise, d'ailleurs traditionnelle, que l'on trouve déjà ~hez les aut~urs de langue arabe du moyen âge : 11suffit de citer des autorités telles que l'historien lbn-Khaldoun et le voyageur lbn-Battouta (!ous deux du x1v 0 siècle) qui suivent tout s1~plement l'usage général. Un usage qui, d ailleurs, persiste de nos jours, comme le reconnaissent parfois les tenants mêmes du panarabisme, jusque dans leurs ouvrages publiés. 10 11est en e~et difficile de nier qu'aux yeux des populations même les plus arabisées les vrais Arabes sont toujours, après tout, le~ gens venus d'Arabie, les Bédouins, les nomades. Ainsi les Arabes véritables et déclarés n'ont jamais formé - en dehors de l'Arabie - que des minorités, souvent faibles. Dans l'ensemble du Proche-~rient et de l'Afrique du Nord, qui comptent auJourd'hui 50 ou 60 millions d'âmes, ou peut-être 80 millions, selon la façon dont on en définit les limites et selon les estimations ' . . tres 1ncerta1nes auxquelles on ajoute foi, ces Arabes authentiques représentent quelque chose comme 5 à 10 % du total - impossible de préciser davantage. Ils vivent pour la plupart dans la péninsule Arabique et sur ses lisières nord, ainsi qu'en bordure du Sahara en Afrique. Pas d'unité politique DANSQUELsens y aurait-il donc un monde arabe, de l'Atlantique à l'océan Indien? On vient de voir qu'il n'a pas ni n'a eu d'existence ethnique, dans les faits objectifs ou dans la conscience d'une majorité des intéressés. Il n'a . 9. De l'arabe .Badyé, terme s'appliquant au «pays déser- ~que » de l'Arabie. 10. Cf. E.. Atiyah : The Arabs, 1955, pp. 7-8. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL d'ailleurs jamais constitué d'unité politique : dès l'expansion de l'islam, du v11° au x0 siècles de l'ère chrétienne, la suzeraineté nominale du Califat, puis des califats rivaux, s'est dissociée au profit de pouvoirs régionaux, héritiers de traditions indigènes ou étrangères pré-musulmanes. Ces pouvoirs, presque partout, étaient influencés ou détenus par les éléments non arabes : berbères, iraniens, turcs et autres. D'autre part, le calife 11 ne fut ni pape ni empereur. Son prestige rituel, nobiliaire ne se doublait d'autorité temporelle et spirituelle que là où il s'appuyait sur le régime militaire des émirs, sultans, 12 etc. Mais ces régimes - chefs, troupes et ·conseillers - avaient cessé d'être arabes dès les premiers siècles, pendant que le Califat devenait un jouet aux mains d' Africains, de Persans et de mercenaires .turcs, pour être finalement confisqué par les sultans ottomans. Son abolition en 1924 par Mustapha Kémal « Ataturk » (le « père de la Turquie » moderne) ne supprima qu'un fantôme. Il n'importe, dira-t-on, ce ne sont là qu'arguments historiques ; il existe aujourd'hui un monde arabe qui cherche son unité, même et surtout son unité politique ou nationale. Fort bien, admettons-le pour l'instant, mais prenons garde aux mots, qui sont ici autant de pièges. Car ce mon~e qui se cherc~erait ne comprend guère les diverses masses dites arabes : il consiste en minorités dirigeantes essentiellement musulmanes, d'origines_très variées, et en leurs conseillers, généralement protestants (anglo-américains) ou communistes (soviétiques et autres). L'unité qu~ l'on préco~s~ n'est pas tant politique et nationale que religieuse et internationale - soit dans le sens moyenâgeux, soit dans l'un des sens modernes, impérialistes et révolutionnaires. On proclame à qui veut l'entendre le caractère ~égitime et inévitable du nationalisme ou des nationalis~es_ arab~s, sans se laisser arrêter par la contradiction flagrante entre -ce singulier et ce pluriel. On promulgue, comme dans l'étonnante constitution du colonel Nasser la t~tale id~ntifi~ation_de l'Égypte avec un pan;rab1s~e qui est a la f01spanafricain et panislamique. Et 11n'est que trop facile de faire accepter toutes ces confusions à des publics illettrés ou mal informés. Si vraiment il était un monde arabe à la recherch~ de son unité politique, ce ne sont pas les occasions de réaliser cette unité qui lui ont 1~. Calif~, ~alifat : un seul terme (Khalifat en · arabe classique), signifiant «successeur» du Prophète. Il désigne un~ personne, to-qt a1;1plus une dignité, mais non une entité politique ou territoriale : celle-ci n'apparaît que dans les manuels et atlas européens. · 12. Émir : «commandant»; sultan : «régent, monarque».

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