·76 xisme et même il accuse les auteurs du Manifeste communiste d'avoir commis « un plagiat très_scien- .tifique » en s'inspirant du Manifeste de la Démocratie au XJXe siècle (1843) de Victor Considerant (articles des Temps Nouveaux, avril-juin 1900). On en dissertera à loisir. Mais tant de gloses savantes devraient suffire à dissuader les interprètes occidentaux du libéralisme d'assimiler le bolchévisme stalinien au marxisme, lequel relève désormais de l'histoire des idées sociales comme le saint-simonisme et· le positivisme. Même la « dictature du prolétariat » que suggèrent Marx et Engels en passant (quelques lignes éparses dans leur œuvre considérable) n'a rien de commun avec ce qu'on ose appeler ainsi dans l'Union Soviétique : inséparable du régime démocratique tel qu'ils le préconisent, elle est absolument étrangère à l'esprit de parti. « Les communistes. ne forment pas un parti distinct en face des autres partis ouvriers », affirme le Manifeste, et Engels désigne la Commune de Paris comme exemple, ·Marx ne comprend la « dictature du prolétariat » que comme l'autorité exercée par l'ensemble de la population laborieuse. Lénine et Trotski se piquaient de marxisme orthodoxe mais ils n'ont su ni pu résister à la tenta- ·tion de prendre le pouvoir en tant qu'intime minorité, à la faveur de circonstances exceptionnelles. Ce n'est pas le prolétariat, ni même le parti bolchévik. qui fit la« révolution d'Octobre » en 1917, mais le « Comité militaire révolutionnaire » nommé par la majorité léniniste du Soviet de Pétrograd. * A l'encontre précisément de ce marxisme que revendiquaient plusieurs tendances antagoniques du socialisme russe, les bolchéviks résolurent de se maintenir en place à tout prix, ce qui devait impliquer le manquement à toutes leurs promesses, la suppression de toute démocratie et finalement la terreur, tournure tragique des choses qu'avaient prévue certains des plus proches compagnons de Lénine. Celui-ci s'était persuadé a priori que si 130.000 propriétaires fonciers ont pu gouverner la Russie dans l'intérêt des riches, 240.000 bolchéviks pourraient en faire autant dans l'intérêt des pauvres, schématisme outrancier équivalant à renier son marxisme livresque. Après sa mort, rien n'allait subsister des intentions irréalisables exposées dans ses écrits théoriques antérieurs à la mise en pratique. * Cf. M. Tanine: Dix ans de politique extérieure de l'URSS Moscou, Éditions d'État, 1927. La chronique des événements' à la fin de l'ouvrage, note: « 7 novembre. Révolution d'Octobr~ (prise du pouvoir par le Comité militaire révolutionnaire du Parti social-démocrate ouvrier - des bolchéviks - à Pétrograd). » Donc dix ans après, il était encore naturel d'imprimer à Mo~cou une vérité aussi évidente. Ce fut bientôt impossible sous Staline. BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCJAL Dans son parti transformé, militarisé, hiérarchisé, discipliné à l'extrême après cinq ans de régime soviétique où s'étaient confondus le Parti et l'État, Staline n'eut qu'à ruser et intriguer dans les cadres supérieurs pour discréditer les doctrinaires, les refouler, puis précipiter leur déchéance. Maître de « l'appareil » politique et de la police secrète, entièrement dépourvu de principes et de scrupules, le sinistre Secrétaire du Parti entre- .prit de déshonorer et d'avilir ses contradicteurs, d'instaurer contre eux et contre des millions d'ennemis imaginaires un système atroce de répression et d'oppression par la torture. Ivre d'un pouvoir sans limites, et au mépris de la doctrine initiale, Staline s'est permis pendant plus de vingt-cinq ans les crimes les plus inconcevables au service de son propre « culte ». Il faudra des volumes pour en rendre compte. Mais en matière de marxisme, on doit noter ici que Staline a domestiqué, asservi l'Institut Marx-Engels de Moscou et condamné à mort son fondateur et directeur, David Riazanov qui avait commencé la seule édition intégrale des œuvres de Marx ; il a supprimé cette édition, ainsi que les Archives Marx-Engels et les Annales du marxisme, ainsi que divers ouvrages essentiels de Marx, ainsi que tous les livres de Riazanov sur Marx et Engels.** Il a supprimé au physique tous les collaborateurs du dit Institut de marxologie qualifiés par leurs travaux sur le marxisme. 11 a supprimé la Théorie du matérialisme historique de N. Boukharine et supprimé son auteur, ainsi que l' A. B. C. du Communisme. 11 a mis au pilon la plupart des livres marxistes et sous le boisseau, même, quantité de textes de Lénine. Il a tué, sans comparaison possible, beaucoup plus d'écrivains marxistes que Hitler, n'en laissant pas survivre un seul. . . La difficulté en l'espèce est de se borner à des indications aussi brèves. Mais leur pertinence réfute assez les sophismes qui honorent à tort · et à traver~ Staline et ses complices en les englobant dans une définition (ausse qu'ils tiennent pour un hommage. Voir en eux des marxistes, c'est abonder dans leur sens et s'interdire de pénétrer leur jeu dans la guerre inexpiable qu'ils mènent contre tout ce qui résiste à leur volont_é de puissance. Depuis bientôt quarante ans, ils n'ont de succès majeurs que grâce à l'ignorance, à l'incompréhension de leurs adversaires. Pourtant la co'nnaissance exacte et tranquille des faits et des idées en cause eût exorcisé, en pleine lumière, le spectre du marxisme. B. SOUVARINE **Cf.Maximilien Rubel: « Karl Marx, auteur maudit en URSS? » Paris, Preuves, n°8 7 et 8, 1951.
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