revue lzistorique et critique Jes faits et Jes iJées MARS 1957 Vol. 1, N° 1J UNE NOUVELLE REVUE Il n'y a déjà que trop de revues, mais celle-ci ne fait double emploi avec nulle autre et sera justifiée si sa publication comble une lacune. Or il n'est guère contestable qu'au progrès manifeste des sciences exactes et des techniques industrielles correspond de nos jours, notamment en France, une régression frappante des connaissances dans l'ordre· des « sciences morales et politiques », des « philosophies de l'histoire » et. de la « physique sociale », pour user d' expressions pleines de sens au dernier siècle. Sans prétendre suppléer le savoir défaillant en ces vastes matières, l'initiative privée peut cependant s'efforcer de rendre goût à l'étude, de susciter la recherche originale et de stimuler la pensée critique, devant l'indifférence ou la carence des institutions officielles. A priori, les perspectives de travail apparaissent multiples et trop riches d'exigences. Mais on est en droit d'aller au plus urgent sans s'interdire les amplifications ultérieures et les approfondissements qui dépendront des concours de toutes sortes à l'œuvre entreprise. Et l'urgence s'impose de par les contingences. Alors que les meilleurs esprits s'interrogent sur l'avenir promis à l'humanité, sachant enfin que les civilisations sont mortelles, et tandis qu'un empire monstrueux affirme urbi et orbi son ambition de dominer la planète, ce serait mauvais calcul que s'e11remettre à la balistique pour se dispenser de résistance intellectuelle. Il s'agit d'observer sans parti pris dogmatique l' obsédante crise contemporaine à l'ordre du jour et d'en analyser correctement la nature afin de conclure sans avoir à choisir entre deux manières de disparaître ou de subir. Que faire? Dans le livre qui porte ce titre, Biblioteca Gino Bianco· Lénine a « marqué 1' engouement général de la jeunesse russe instruite pour la théorie marxiste » avant la fin du x1xe siècle dans la Russie des Tsars. « On voyait paraître les uns · après les autres des ouvrages marxistes, écrivait-il, se fonder des revues et des journaux marxistes, tout le monde se convertir au marxisme, flatter les marxistes, faire la cour aux marxistes, les éditeurs s'enthousiasmer du débit extraordinaire des livres marxistes ... » Avec un demi-siècle de retard sur l'ancienne Russie, une certaine intelligentsia occidentale découvre à son tour le marxisme et se croit à l'avant-garde. Mais ce qui était là spontané est ièi artificiel. Ce qui était alors authentique n'est plus que caricature. Et ce qui singularise à présent le phénomène, c'est l'étonnante vulgarité des disputes où de part et d'autre tant de controversistes confondent Marx et le marxisme, ne savent distinguer ni le marxisme du léninisme, ni l'un et l'autre dt1 stalinisme, ni la paille des mots du grain de~ choses. Les historiens futurs auront peine à croire que des contemporains de l'État dit soviétique aient pu, durant quarante ans au moins, l'identifier au marxisme appliqué, bien que la critique de Marx et du marxisme y soit interdite : criante antinomie dans les termes, ceux de la théorie et ceux de la pratique. Ils seront encore plus surpris de lire après coup tant d'éloges prononcés à l'adresse du plus abject des tyrans par maints coryphées de la démocratie libérale - politiciens, littérateurs, universitaires et autres. Ils auront du mal à s'expliquer, devant l'évidence d'une entreprise de subversion et de conquête universelles, l'inconscience et l'inertie de cette vieille
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