Ernest Le Blanc - Les Carnot et le président de la République

. LES CARNOT ET L~ Pr~siù~nt òe Ia R~~u~liijll~ PU ERNEST LEBLANC (.ivae un Portraitdcssin.é par F . SEntZIER et un Aulographe:) PARI S BUREAUX DU " NATIONA!.." 4<}, BUB NOTnE-DAME- DES-VJCTOlRBS, 42 Décembre 1887

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LES CARNOT E'f L~ Pr~~iù~nt de 1a R~~UDliijU~ PAR ERNEST LEBLANC (Avec un Pot·tt·ait dessiné par F. SERIZIEn et un Autographe) PARIS BUREAUX DU "NATIONAL" ,2, RUE NOTBE-DA.ME-DES-VIC'fOIRES 1 42 Décembre 1887

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A M. L.AZARE-HIPPOLYTE CARNOT SénateU1'1 ancien Minist'1·e, Fils DE L10RGANISA'l'EUR DE LA VICTOIRE Pè1·e DU PRÉBIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRAN9AISE HOMMAGE de patriotique déférence. ERNEST LEBLA.NC~

LES CARNOT LES ANCETRES DU PRÉSIDENT I A.NT!QUE BOURGEO!S!E. PLUSlEUl\5 SlÈCLES DE ROTURE. - LE NOH. LE BERCEAU DE LA FAM!LLE. L 'Etat républicain peut avoir, tou t comme l'Etat monarchique, ses dynas ti es, où l es grandes charges publiques deviennent héréditaires par la succession du méri te, comme chez l es autres par la succession de la faveur el de la fortune. L a famille Carnot olTr e un r are exemple de ces antiques lignées bourgeoises nourries d'honneur, d'indépendance, de simpli cité dans l es mamr s. d'austérité dans l es principes, de fermeté dans les idées. Sans r emonter plus haut que l e père de celui qui rec;ut de la reconnaissance du peupl e franrais le nom de grand Carnot, au fover du

-8notaire de Nolay, « successeur de son père », comme ravaient été de père en fils plusieurs généra tions de ses ancétres, parmi !es dixhuit enfants de ce patriarche, on s ent vibrer J'àme.méme de cette bourgeoisie française , d'où sorti t, suivant le mot de Louis Combes : «la saine et robuste génération révolutionnaire appelée à de si éclatantes destinées . » Ces for·tes et laborieuses familles du Tiers conservèr·ent pieusement, résolument, sous la Restaur·ation, !es traditions de la grande époque. En 1848, elles reprit·ent J'ceuvre paternelle interrompue et peut-étre l'eussent-elles déjà menée àbien, sans l'accessi on brusque du peupl e, encore ignorant et mal préparé à ce 0uffrage universel, d'où Louis-Napoléon extorqua sa dictature. Elles n 'ont pas que des traditions. Elles pow-raient, elles aussi, se targuer de l'antiquité de leur race, grandie, élevée en son berceau mème. Mieux que nombre de hauts seigneurs, fort garnis de morgue et de parehemins, !es Carnot pourraient justifier de leur·s tr-ois cents ans de roture. Encor·e donneraient-ils une preuve nouvelle de la simplicité,de lamodestiehéréditaire, enne remontan t pas au delà de trois siècles. Leur nom mème est de vieux roe gaulois. « Carn , ou « Karn .. , en langueceltique, veut dire« pierre sacr·~e "· t~moin Karnac en Bretagne. . Au village d'Epertully, non loin de Nolay, ajoute Louis Combes, on voit encore le Puils Carnot, la Cmix Carnot, qui datent de longtemps, et il règne dans la contrée, à l'égard de celte famille, des habitudes traditionnelles de respect affectueux qui témoi gnent hautement en sa faveur .

II LE PÈRE INTÉRIEUR PATRIARCAL. - DIX-HUIT ENFANTS LE REGISTRE DES NAISSANCES. Le notaire de Nolay eut, de son mariage avec Marguerite Pothier, dix-huit enfants : quatorze ga rçons et quatre filles. Sept seulement survécurent. Parmi ceux-là, trois devinrent célèbres. Nous pouvons dire quatre, car !es .Mémoires assurent la célébrité à la sceur alnée. Les sept frè1·es et sceurs perdirent assez brusquement leur mère. Elle mourut à l'àge de soixan te-deux ans, sans tester, mais aucun des enfants ne songea méme à réclamer du leur père l'héritage qui leur revenait; ce fut le père lui-méme qui dut signifier sa volonté formelle de leur remettre ces biens. Le père , lui, fit un testament, mais !es fl ·ères et sceurs convinrent tous d'avance que le pariage sel'ai! égal entra eux, quelle que fùt la teneur du testament.

-10Ces traits marquent le caractère d'une famille. Mais on en trouvera d'autres, plus intimes, d'une couleur plus particulière et sentant encore mieux leur race. Le père des Carnot a vai! l'habitude d'écrire sur son recueil patriarca!, à la naissance de chacun de ses enfantset en regard du nom de cet enfant, un vreu spécial. Ce vreu, ainsi qu'on le verra, fut parfois prophétique.

III LES DEUX S<EURS CARNOT JEANNE-PIERRETTE ET MAP.GUERITE • Mères des Pauvres » « Farmi !es sept enfants qui compos~rent en défì..itive la famille Carnot, racontent !es Mémoù·es, publiés plus tard par le doyen actuel du Senat, se trouve une fille, l'a!née de tous les autres, et à còté du nom de JeannePierrette, on li t ces mots, écrits de la mai n du pere sur son registre : Que Dieu lui (asse la grdce d'et1·e p1·udente, modeste et cl!a1'itable. Jamais voeu ne fu t mieux accompli, continue M. Carnot ; Jeanne-Pierrette se consacra au service des malades et, pendant cinquantedeux ans, dirigea, comme supérieure, l'hòpital de la Charité, à Nolay. Elle avai t été précédée dans celte fonction par une autre soeur, morte jeune et avant ses pal'ents, mais qui avait déjà mérité d'ètre inhumée dans le cimetière de Nolay avec celte épitaphe: Afarguerite Carnot, mère des pauvres.»

-12De Jeanne-Pierrette, l'auteur des Mémoires raconte ainsi la mori : << La piété de celte excellente femme était simple et profonde; mais elle n'avait pas moins de fermeté que de dévotion dans le cceur; le malin méme de sa mori, elle visi ta le jardin et la pharmacie de l 'hOpital, puis se remi t au li t, et dit paisiblement à l'un de ses neveux : <<Ma mère est morte à pareil jour, il « y a trente-sept ans; j'en a i soixante-qua- " torze: tu vas me voir mourir aujourd'hui. ,, Et quelques heures plus tard, Jeanne-Pierrette Carnot mourait.

lV LES TROIS FRÈRES CARNOT LE NESTOR DES CRIMINALISTES. LES DEUX CADETS. - DELIX OFFICIERS DU GÉNI! DO!\T UN OFFIGIER DE GÉ!\IE. Les frères reçurent leur première éducation dans celte maison patriarcale, où ils avaien l sous les yeux « l'exemple du travai l incessant, de la probité la plus rigide, et de toutes les vertus privées." Leur père, homme d'un esprit supérieur et d'un savoir étendu, fut leur premim· maltre. L'alné, né en 1752, est mori en 1835. Il fu! d'abord avoca! au Parlement de Dijon, embrassa avec enthousiasme les principes de la Révolution et fu t nommé successivernentjuge à Autun et commissaire près les tribunaux de la Còte-ù"Or. fer·me et pondéré, il combattit, après le 9 thermidor les excès de la réaction, dans son département, comme il avait combattu ceux de la Terreur. Nommé en l'an IX conseill er à la cour de cassation, la Restaurati on n'osa pas écarter ce" Nestor des criminalistes modernes •>, comme on J'appela. Il siégea à la Cour suprème j,usqu'à sa mori. Le second, Lazare, est le grand Carnot. né le

-1413 mai 1753. Le troisième est Claude, "CarnotFeulins "• né en 1755. Séparés seulement par deux ans, ils se suivirent de près dans leurs études qui eurent d'abord la mème direction. Après avoir passé par le collège d'Autun, ils furent admis a l'Ecole du génie, a Méziéres. La Révolution !es trouva tous !es deux capitaines, tous !es deux en garni son dans le Pasde-Calais : Lazare, a Arras, Claude, a SaintOrnar. Ils avaient su mériter l'estima publique, puisque tous deux furent élus députés du Pasde-Calais, a l'Assemblée législative. Carnot-Feulins, celui que son extérieur brillant avait fai t surnommer dans ses garnisons "le bel ingénieur "• promettait un orateur, si sa carrière parle:nentaire eùt été plus Iongue. No!! réélu a la Convention, il rentra a l'armée du Nord comme colone!, contribua de la manière la plus brillante a la glorieuse journée de Wattignies st à la défense de Valenciennes. Appelé plus d'une fois au Luxembourg, sans titre officiel. pendant que son frère était membre du Directoire, il eut la clairvoyance de distinguer le Césarqui perçaitsous Bonaparte. Lorsqu'il s'agi t de donner le commandement de rarmée d'ltalie au général de vendémiaire, il le signala, malgré ropinion de son frère, comme un ambitieux. Napol éon avai t la mémoire longue et la rancune tenace. Il lì t en sorte, au moment de l'expédition de SaintDomingue, que Carnot-Feuli ns fùt obligé de qui tter l'armée sans pension . Il vécut depuis dans la,retraite et fut emprisonné, sous la Restauration, pour un complot imaginaire, après avoir publié diverses brochures libérales. 11 mourut en 1836.

LE GRAND CARNOT v EXTRA!T DE NA!SSANCE. ESP!ÈGLERIE RÉVÉLATRICE - LE PETIT GÉNÉRAL Revenir au grand Carnat, c'est revenir à l'ascendance directe de M. le président de la République. En regard de san nam. san père écrivit ceci sur le r egistra de famille : «Le dimanche 13 mai 1753, à nssue des " vèpres, sur les quatre heures, ma femme " a mis au mande un fils qui a été bapiisé le "mème jaut• par M. Baussey, prètre-vicaire, a " Nalay; il a eu pour parrai n sieur Nicolas « Clément, fils de Marie Carnot, ma sceur, et " pour marraine, demoiselle Marguerite Po- " thi er, fille de M. Pothier, ancle de ma femme. « Il est appelé Lazare-Nicalas-Marguerite. Cet « en,·ant est né dans un temps de calamité par • !es morts promples et fréauentes aui affl i..,.en t

-16- « ce pays, ainsi que tous eenx de la prov:nce « Que Dieu lui présente ainsi sa colère, dam « toutle cours de sa vie, pour qu'il s'y conduisF « avec crainte, et mérite sa miséricorde l " Quarante-trois ans plus tard, pendant que son fìls était en exil, le vieux père Carnot, un peu avant de mourir, écrivait ce quatrain sur son recueil patriarca!, au-dessousdu vreu formulé pour le nouveau-né: Je l'ai vu dès l'enrance au bien s 'étudier : Fils, frère, époux et père, orateur et guerrier, Calomnié, proscrit, ou Dien au rang suprème. Sans lì el et sans orgueil, toujours il fu t le méme. François Arago, - autre héritier d'une de ces grandes familles bourgeoises qu i ont tant fai t pour l'honneur de la France, ~ dans une Jecture fai te à I'Académie des sciences en 1837 quatorze ans après la mori de Carnot, a raconté une jolie anecdote sur son enfance: « Carnot n'avait que dix ans Jorsque sa mère, dans un voyage à Dijon, l'ernmena avec elle et,.pour le récompenserde la docilité rétléchie qu'il montrait en toute circonstance, le conduisit au spectacle. On donnait ce jourlà une pièce où des évolulions de troupes se succédaient sans relàche. L'écolier su ivait avec une attention imperturbable la série d'évènements qui se déroulaient devant lui. Tout à coup il se lève, il s'agite, et, malgré !es efforts de sa mère, il interpelle en ter·mes à peine polis un personnage qui venait d'entrer en scene. Ce personnage était le général des troupes auxquelles le jeune Carnot s'intéressait. « Par ses cris, l'enfant avertissait le gén"éral inhabile que l'at·tillerie était mal placée; que

- 17tes canonniers, tous à découvert , nepouvaient pas manquer d'ètre tués par !es premiers coups de fusi! tirés du rempart de la fol'teresse assiégée ; qu'en étab!Issant, au contrai re, une batterie derrière certain rocher, qu'il désignait de la voix et du geste, .les soldats seraient beaucoup moins exposés. Les acteurs, interdits, ne savai ent que faire. Mme Carnet était désol ée du désordre que son flls occasionnait. La s alle riai t aux éclats; chacun cherchait dans sa té te l'explication d'uneespièglerie sipeuor dinaire. "La prétendue espièglerie n'était autre chose que la r évélation d'une haute intelli gence militaire, le prem1er symptòme de cet esprit sup~rieur qui, dédaignant !es routes battues, créait quelques années plus ta-rd une nouvelle tactique, qui proposait de remplacer !es for lificati ons si ar tistement, si ingén ieusement combinées de Vauban par un tout autre système."

VI L'ORGANISATEUR DE LA VICTOIRE LA PATRIE EN DANGER. - LA PATRIE SAUVÉE. Est·il besoin de rappeler cette prodigieuse carrière et les services rendus à la Patrie en danger? La par ticipation de Carnot aux réformes de la Révolution, à .J'oeuvre colossale de la Convention, s'est étendue sur tous les points. Ce rare et rob.uste esprit qui avait, comme capitaine, publié son" Essai sur !es machines "• assura, comme commissaire de la Convention, la défense de la frontière des Pyrénées, et écrivit comme rapporteur du comité diplomatique des pages portant toutes l'empreinte de·la grandeur de ce temps. Le " culte » de l'auteur pour le principe des nationalités, s'y révèlait ainsi que ses sent iments élevés et sa haute raison pratique. Plus tard, il conjurait par !es mesures !es plus promptes et !es plus énergtques !es désastres dont la défection de Dumouriez menaçait le pays. Sa mission à l'armée du Nord, !es travaux de délense de Dunkerque, la formation des camps de Gyveld et de Casse!, et le coup de main hardi qui arracha Furnes aux Anglais, fait d'armes où il électrisa !es soldats et

-19jonna lui-mème l'exemplc du courage, en mar- ~hant dans le rang un fusi! a la main, ne fu- ~ent que les préludcs du ròle qui allait lui ~tre confié quelques mois après (14 aoùt}, · ~omme membre du Comité de Salut public. Ce ròle, on peut le dire, s'éleva jusqu·ò. des proportions vraiment éjliques. Pour lenir tè le: aux rois qlll se croya1enl déJà ma1tres de la France, aux complots sans cesse renaissants des royalisles ; il. la contre-révolution, empruntant le masque rles girondins et soulevant !es départements, en se donnant comme un simple schisme de l'opinion républicaine ; aux 100,000 Vendéens révollés con tre la Patrie et maltres du cours de la Loire; aux vili es comme Bordeaux et Caen insurgées au nom du fédéralisme; à Lyon soutenant un siège con tre la Révolulion; au Midi en feu; à l'heure décisive où tous les ennemis du dehors et du dedans, où la crise financière, la crise des subsislances menaçaient de toutes parts, où -soixante déparlements allaient ètre la pt•oie de l'invasion ou de la guerre civile, il fallait, pour coordonner et diriger les efforls de la nation et de la Convention, un patriote de génie. Ce patriote fui Carnot. Lesalut du pays sorti t des entrailles mème du peuple. Mais la gioire de Carnot fu t, après le décret de la levée en masse, d'av0ir su utiliser et combiner toutes les activités. Par un travai l de dix-huit et vingt heures chaquejour, il organise, met en aclion et relie entre elles !es quatorze armées de la République. Il leut· communique celte fiamme de contiance et dc patriotisme, celte force irrésistible qui !es !ance sur le chemin des triomphes et sauve la ·France.

- 20 - Le 24 aoùt, en effet, la loi de 1·équisition permanente de tous les Français pour la défense de · la pat1·ie étai t promulguée dans le style héroique que lui avai t donné Barère. C'est Cat·not, a écrit M:. Edouard Siebecker, · qui eu t la gioire d'organiser cette multitude, de lui donner moraJement autant que matériellemen t l'homogénéité sans laquelle il n 'est pas d'armées possibles, de choisir !es généraux, de dresser !es plans de campagne. En février 1793, le chiffre des hommes présents sous !es drapeauxétait de 204,000. Après . l'appel de 300,000 hommes, fai t en mars, il v en avait 479,000. En décembre de la méme année, l'effectif présent des armées de la République était de 554,000 hommes. Au mois de septembre de l'année suivante, il attei gnait le chiffre de 732,000. Pour se rendre un compte exact de ses progrès foudroyants, il ne faut pas oublier qu'il fallai! perpétuellement boucher !es vides a la. sui te de ces comba ts de tous !es jours. Et quel spectacle! Les forges sur la piace fabriquan t mille fusils par jour, Ìés cloches descendant de leurs tours pour prendre une Yoix plus sonore et lancer le tonnerre, les cercueils fc>ndus pour !es balles, !es ·caves fouill oles pour le salpétre, la France arrachant ses enwailles pour en écraser l'ennemi : tçJUt cela composait le plus grand des spectacles! C'es t l\Ii chelei qui parie ainsi. Et, parlant de Carnot, qui es t l'àme de ce prodigieux mouvement d'un peuple tout entier décidé à mourir plutòt que de subir la servitude, il parle de son coup d'ceil étrange :

-21Divination merveilleuse du patriotisme! Cet hornme aima tan~ sa patr·ie, il eut au cceur un dé~ sir si violent de sauver la France, que, deva.nt cette fou1e où les autres ne distinguaient r·ien, lui, par une seconde vue, il connut, senti t les héros! Son premier regard lui donna Jourdan. Le second lui donna Hocloe. Le troistéme lui donna Bonaparte.

VII LA PLUS BELLE VICTOIRE DE LA REPUBLIQUE. L'OEUVRE DU GRAKD CARKOT On sait comment, membre du Comité de salut publi c, il se conduisit a la bataille de vVattignies . Ce jour-la, le savant Carnot, que c :Jetains généraux plaisantaient à cause des culottes courtes et des bas bleus qu'il portait d'ordinaire, Carnot, le géomètre, gagna la bataille. Enfermés dans d.;s redoutes, protégés par rles bois, des taillis, des haies, !es Autrichiens 1 é:sistèrent d'abord victorieusement a nos colonnes d'attaque ; l'une d'elles commençait mème à reculer lorsque le commissaire·Carnot, se jelant au mi li eu de la mèlée, rallia !es so.ldats, les reforma sur un plateau, desti tua solennellement, a la vue de toute l'armée, le général qui s'était laissé repousser, s'empara du fusi) d'un grenadier, s'élança a la tète de la colonne en costume de représentant et mit en fuile l'armée autrichienne don t le général

- ~3Cobourg disait en riant, une heure auparavant: "Les républicains sont d'excellents sol dats mais s'ils me délogent d'ici, je consens a m~ faire républicain moi-méme ! >> Vaincu, ce gentilhomme se garda de lenir parole. . . . . La victoire de"' att1gmes est, au témOJgnage mème de Napoléon, appréciateur peu suspect de bienveillance outrée envers les hommes et !es choses de la Révolution, un des plusbeaux faits d'al'lnes des guerres de la République. Il en atlribuait J'honneur aux manreuvres de Carnot. Et ce commissaire, qui s'était élancé un fusil a la main, a la tète d'une colonne, après avoir destitué un général hésitant, revieni, la batmlle gagnée, I'!Jprendre sa piace au comité de Salut pubhc. Le surlendemain, il écrit à J'ar·mée Qfficiellement pour la féliciter du triomphe, sans l'aire la moindre allusion a la part qu·n y a p1·ise. Et ses collègues du comité, en le voyant manger, sur le coin de son bureau, un morceau de pain ari·osé d'une bouteillede limonade, se demandent vraiment si le vainqueur de Wattignies est bi en allé làbas, et comment il peut étre ici avec tant de promptitude et s'y lenir avec tant de simplicité. " 27 victoires, don t 8 en batailles rangées, 120 combals, 80,000 ennemis tués, 91,000 prisonniers, 116 places fortes ou vilies importantes occupées, 3,800 canons, 70,000 fusils et 90 drapeaux tombés en notre pouvoir >>: tel est le tableau présenté par Carnot lui-méme en rentrant , a l'expiration de ses pouvoirs, au sein de l'Assemhlée, après avoir dii'igé pendant dix-sept mois ìes a1·mées de la Républiaue.

VIII CARNOT ET LES PARTIS A AI'VEIIS. - FJÈRE HÉPONSE A BERNADOTTE . CAHNOT ET L'EMPE~UR. L'ingratilude des pariis ne devai t pas épargner J'homrne à qui cette grand'eu,r eut manqué. Absorbé par un travai! cyclopéen, il se mélait peu aux intrigues. Il !es ignorai t. Sa nature droite et fière n'eut pu ni y descendre ni les pénétrer. Pour avoir voulu défendre ses a nciens co llègues du Comité, il fut, après la journée du 1" prai ri al, exposé aux rages des réactionnaires. lls venaient de prononcer, parmi !es représentants montagnards décrérés d'arres lation, le norn de Carnot, Jorsque, dans le silen.ce p lei n d'anxiété, une voix de la " plaine " s'écria : " Oserez-vous porler la main sur celui qui a organisé la victoire? " Un frémissement d'enthousiasme parcourut l'Assembl ée , dii Louis Combes . Le grand

-25c-:eur de la Convention éclata en acclamations passionnées et les violences de la fact ion se b risèrent aux pieds du grand citoyen. La générosité de Car-not avait peine à croire .au mal, et lorsqu' il devenait évident, elle se refusait aux mesures rigoureuses et exceptionnelles . Il soutena1l quel es moyens légaux s uffiraien t pour réprimer les complots royaJistes, ce qui lui valut de parlager leur sort au moment de la proscription du 18 fructidor. :v!enacé d'arrestation par la majorité du Directoire, Poursuivi Jusqu 'à Genève, alors chef-lieu d'un département français , par des espions, jl se r éfugia chez un blanchisseur et lui di t : - Je suis un proscrit, je suis Carnot; on va m·arrèter ; mon sort est dans vos mai ns; voulez-vous me sauver? - Oui, répondit san s hésitation l'honnè!e homme du peuple. . , Aussitòt il affubla Carnot d'une blouse, d'un bonnet de coton, d'une hote, plaça sur sa tète un énorme paquetde linge qui débordait, cachait jusqu'au épaules du bl anchisseur supposé et couvra it sa figure. C'est à la faveur d'un sembl able déguisement que l'homme à qui, peu auparavant, il ·suffisait d'un ordre pour melti'e en mouvement les armées commandées par les Mar- .ceau, les Hoche, les Moreau, les Bonaparte, pour fai re trembler Naples, Rome, Vienne , Berli n, c·est comme garçon de buanderie que ce géant des batailles, que ce héros sans r eproche parvi nt à gagner sai n et sauf un peti t bateau, gràce auquel il échappa à la déporta- .tion.

-26Tan t d'lngratitude n'empècha point Carnot . de se mettre dc nouveau au service de son pays aussitòt qu'illui fu t possible d'y rentrer et de consacre1· tout le reste de sa vie a la gran deur de la France. Les grandes àmes n 'ont point de rancune. Rentré a Pa ri s après le 18 Brumaire, il eut le portefeuille de la guerre. Membre du Tribuna!, il vota con tre la création de la Légion d'honneur, con tre le consulat a vie e t parla sPul con tre l'établi ssement de l'empire. " Au milieu de la fascinalion universell e, il conserva une màle in dépendance et vécut dès lors dans la retraite , malgré les invitations de -Napo léon, qui regrettait qu·une si haute individualité échappàt a son acti on et qui lui dit un jour : " Monsieur Carnot, toui ce que vous voudrez, quand vous voudrez et comme vous voudrez. » Le pur et nobl e citoyen resta fidèle a ses convictions et n'accepta rien. • · Il ne r eparut qu'à l'heure des r evers et vi n t offrir à Napo léon son bras sexagénai1·e au moment de l'envahissement du pays (1814). Il fut nommé au commandement d'Anvers . Mais au moment de rédiger !es lettres patentes, on s'aperc:u t qu'il n 'avait d'autre grade qu e celui de chef de bataillon du géni e. auquet il était :in·ivé "à J'ancienneté ».Il avait hien pu diriger !es armées, nommer des généraux, Bonaparte mème, il n 'avait jamais voutu se signer , a lui-méme, un brevet d'officier gén éral. Il ne rendi t la piace d'Anvers qu 'après l'abdicati on de J'Empereur, et il r épondit à Bernadotte, prince royat de Suède, alors que celui-ci voutut entamer des n égociations avec lui

-27- « J'étais l'ami du génér al fran çais Bernadotte, mais j e suis l 'ennemi du prince ét1·anger qui t<Jurne ses armes con tre ma patri e. " Il y aquelques années,les habitants de deux communes suburbaines d'Anvers, qu'il avait préservées de la destrucli on,lui élevèrent aux portes de la ville, une statue. Si rigide qu 'il fut pour 80i, Carnot ne fut jamais insensible aux malheurs d'autrui. Quand la for·tune de l'Empire rut brisée sans retour, au moment où Napol éon se prépar ait au dépai't suprème, l 'inf1exible r épublicain ne put I'etenir une !arme : • Carnot, lui dit empereur, je vous ai connu trop tard. "

IX L'EX IL LES BOURBO:-IS. - MORT DE NAPOLÉON MORT DE CARNOT Il devait, lui aussi, mourir dans J'exil. Il fut proscrit par Jes Bourbons, sans égards pour Jes services rendus à la Patrie, n'avait-il pas organisé la victoire contre l'étranger qu'ils servaient et con tre J'insurrection qu'ils fomentaient? Ap1·ès avoir quelque temps habité Varsovie, où 11 avai t emmené son fils, Hippolyte Lazare, père du président de la République, il s'était fixé à Magdebourg. C'es t là qu'il apprit la mort du captif de Sainte-Hélène. Les illémoi1·es, publiésen 1860-64 par M. Hippolyte Carnot sur son illustre père, nous font connaltre sa dernière opinion sur Napoléon. Ecrivant à un de ses amis, il s'eJ~:prime ainsi : " J'ai été affecté plus que beaucoup d'autres peut-ètre par la grande éclipse dont vous me parlez. On ne voit pas sans émotion

-29tomber un colosse. Mais je vous avoue que, génémlement en politique, les individus sont peu de choses pour mo1. » ì'ì"est-ce pas le mot d'Anacharsis Cloolz : " Fra nce, guéris-toi des individus ». Ils étaient dans la vérité républicaine, ces esprits d'élite. " Je ne !es considère, continue Carnot; que sous le rapport du bien et du mal qu'ils font a Ieur pays ; et, sans parler de ses désasu·es militalres, peu d'hommes ont exercé une influence plus funeste que Napoléon sur le sort de Jeur Patrie, malgré des moyens prodigi eux, un caractère inflexible, une àme forte et quelquefois magnanime. , 11 mourut le 2 aoùt 1823. Ce jour-là, il voulut encore se lever et faire sa barbe luimème; puis il s'étendit sur son canapé. Une faiblesse le prit; on n 'eut que le temps de le por ter sur son lit , où. il expira. Le 5 aoùt, à minuit, son corps fut condui t, aux fl ambeaux . sur un char funeb re, à l'église Sai nt-Jean et déposé dans un caveau. Ce n'es\ que plusieurs années après qu'on le transféra au cimetière civil de i\lagdebourg, d'où , nous l'espérons, il reviendra bientòt sur la terre française.

CARNOT SAVANT x LE CAPITAINE DU GÉNIE.- L'ÉLOGE DE VAUBAN. L'ÉTAT ET LES CONTRIBUABLES . Si le grand Carnot put accomplir tant de prodiges, si ses facultés exceptior.nell es purent ain si se répandre sur l es sujets l es plus divers et s'y montrer partout égales à la tache, il ne faut pas douter qu'elles n 'ai ent dù. cette puissance de raisonnement a la di scipline rigoureuse de l'esprit, fruit de l a forte éducation mathématique que s'était donnée l'officier du génie. Camot, en effet. ainsi que l 'a dit son biographe, n 'occuper-a pas une pi ace moins honorable dans l'histoire des sciences que dans celle des événemen ts poli tiques auxquels il s'est trouvé mélé. Ses travaux se recommandent par l es deux qualités l es plus éminentes: la fécondité inventive dans le domaine des faits. et l'ordination philosophique dans celui des 1dées.

-:-nDeux choses frappent d"abord en Carnot : toutes les questions don t il s'est occupé, au milieu de tant d'autres. préoccupations, c·est lui qui les avait posées , et la postérité s'est presséc sur ses pas dans tou tes les voies qu'il a ouvertes. A ces caractères, on reconnal t un grand homme. A peine éta it-il nommé capitaine « à l'ancienneié » en 1783, il attira SUI' lui l'attention par un Eloge de Vauban, qui lui valut le prix pi'Oposé par l'Académie de Dijon {1784). C'est un excell en t morceau non seulement par la sc ience militaire qu'il dénote, mais encore pa r les principes philosophiques dont il est emprei n t. N'est-ce pas, d'ailleurs , la caractéris tiquc . conslan te de tous les esprits supérieur s à celte époque que la part considérabl e de la lumi&re philosophique r épandue dans leurs ceuvres? Comme l'illustre maréchal, Carnot so pt·ononce, da ns le choix des moyens de guer1·e, pour " les voies les moins sanglantes "· Ii fait de l'humanité la première vertu militai re. Il se montre opposé à la conquète, à l'agression. Dans sa pensée, l'a rt de la guerre n'a point essenti ellementpour but de dominer !es peuples, de vaincre des ennemis, mais de défendt'e la nat ionalité menacée, de proléger la civilisation. Il fa ut regretter pour la grandeur contemporai ne de I'Allemagne et, sans doute, pour la durée de l'empire ressuscité, que sa trinité diri ge'l.nte : Bismarck, Moll'e et l'empereur Guillaume, n 'ai! eu ni le lois ir de lire l'ceuvre de Carno t ni le goù t d'en adop ter !es idées généreuses. Tout er.. appréciant !'économique de Vauban

-32et !es réformes proposées par ce grand hornme, Carnot avait ses idées démocratiques aussi nettes que hardies et d'une porlée telle que !es théories de no tre temps !es ont à peine dépassées. On en jugera par cette seule citation: " Quel doit étre l'objet du gouvernement, sinon d'obliger au travai! tous !es individus de l'Etat? Et comment !es y .déterminer, si ce n 'est en fai san t passer les richesses des mains où elles sont superl1ues dans celles où elles sont nécessaires, en rournissant à l'un !es moyens de travailler, et privant l'autre des moyens de rester oisif? Mais lorsque les impositions produisent un effet contraire, lorsqu'elles òtent à celui qui a trop peu pour donner à celui qui a ti'Op, lorsque l'opulence est un ti tre d'exemptions, lorsqu'on arrache au pauvre culiivateur le pain trempé de sueur qu'il allait partager avec ses enfants, que doiton attendre de ce monstrueux système, si ce n 'est de dépeupler !es campagnes, semer la jalousie et la haine entre !es citoyens, effacer de leurs creurs laconfiance et la gaieté, rendre indifférent sur le so1·t de la Patrie, en brisant les liens qui unissent à elle? ,

XI LA MÉCANIQUE. -LA PHYSIQUE . -LA GÉOMÉTRIE LA POÉSIE. Il avai t en lui le souffle de la Révolution au triomphe de laquelle il a llait contribuer avec tant d'aclivité et de dévouement. En attendant, il publia presque simulta nément un Essai sur les machines, qu'il développa plus tard et don t il donna de nou velles éditions sous ce ti tre : De l'équzlibre et du mouvement. Comme tous !es physiciens du temps, il s'occupa avec ardeur des aérostats, nouvell ement inventés et du problème de leur di rection dans !es airs. Un ai.J.tre débat s'éleva à celte époque sur le meilleur système de fortification. Le capitaine du génie s 'y mèla et publia sur ce sujet plusieurs mémoù·es, où il se prononçait pour le maintien des places fortes . II 'Ies nomma des • monuments de paix. » Ne permettent-elles pas , dit-i!, de diminuer l'armée permanente et de laisser aux travaux productifs la partie la plus robuste de la population?

- 3JEn mécanique, Carnot, un des premiers , essaya de faire prévaloir Jes consid éra~ions pratiques tirées de la connaissance que nous avons des propriétés physiques des corps, sur !es hypothéses absolues admises jusqu'alors dans J'école. Sans entrer ici dans des délail s trop techniques, nous pouvons dire que son théorème, relatif à la force vive perdue dans le choc, est l'un des élémen ts !es plus féconds de la théorie des machines industri ell es. Il fournit, en effe t, J'explication de la pette de toute la portion du travai! moteur qui n'est pas absorbée pat· !es frottements des pièces !es unes sur les autres, et donne la raison théorique la plus satisfa isante des avantages, constat és pa r l'expérience, que présente le mouvement un iforme pour arriver au meill eur rendement possible. Toutes ces graves questions, où le calcul infìnitésimal et la géométrie de positi on eureni lelll' pari, ne suffisaient pas à l'act ivité de son esprit. Il se délassait cles travaux sérieux par Ia. composition de poésies fami lières don t quelques-unes ne son t pas sans méri te. On a vu )ar la citation que nous en avons faite, d'après es Mémoit·es, que cette di sposition poétique ilait dans la famille et que le notaire de Nolay •imait, lui aussi, à ses heures de r epos.

LES FILS DE CARNOT XII SADI CARNOT ILE LUXE:.!BOURG.- LE POÈTE DU Jardin des Roses L 'ÉCOLE POLYTECH!\IQUE CONTRE LES ALLIÉS. - CAPITAINE. - DÉMISSION. LA PUISSANCE MOTRICE DU FEU. LE CHOLÉRA DE 1832. - LA )!ORT. Le goùt des sciences exactes esi héréditaire chez !es Cm·not, comme celui de la simplicité. Aussi le conventionnel a-t-il été I"écompensé dans sa postérité d'avoir été un des pl'Omoteurs et des créaieurs de l'Ecol e polytechnique. Son fils al né et ses peiits-fils devaient illusti·er cette maison, à la fonda tion de laquelle il a si efficacement contribué. Nicolas Léonard Sadi Carnot, premier enfant du grand Carnot, est né en 1796 au palais du Luxembourg, que son père h&bitait .alors comme membre du Direcioire. L'Orient éiaii à la mode et on rornpait

- 36 - volon tier s avec les noms des saints du calen-· drier . Les Hercul e, !es Ma rius, !es César et. autres personnages plus ou moins légendair es · devinrent les parra ins d"une pa rtie de la génération nouvell e. Sadi poète persan vi vait vers la fi n du douzième si ècle. Il est sur tout célèbre par un r ecueil in tilulé : " Gulis tan "• Ja rdin des Roses. Qui sa it si ce n'est pas en regardant, sous ses fenètres , !es parterres mer veilleusemen t fl euris du Luxembourg que lajeune femme du directeur Carnet songea à donner le nom du poè le des r·oses au peti t enfant don t elle attendait l'éclos ion ? Quoi qu'il en soit de l'origine de ce nom au parfum exotique, le jeune Sadi montra bien tòt les di spositions !es plus heu1·euses pour !es mathématiques , suivan tainsi l'exen!ple de son père et de son oncle. Il entra à l'Ecole polytechniqu e. Il en portait encore !"uniforme lorsqu'en 1814, !es a ll iés, qui ramenaient les Bourbons dans leurs bagages, envahirent la Fra nce et vinrent assiéger Paris . On se souvien t de J"héroique conduite des élèves de l'Ecole dans les comba ts livrés aux ennemi s sous !es murs de Paris. Sad i Carnet se dis tingua emre ces vaillants . De l'Ecole polytechni que il passa à I'Ecole d'application de Metz. A la sorti e, il fu t nommé dans le corps du génie. Pl us heureux que son père qui, comme nous l'avon s vu, n'obtint ses grades qu'à l'ancienneté, il pa rvint asse z promptement à celui de capitaine.l\Iais bientòt l'attrait de la science lui rendit Iourdes !es. distractions et les suj étions de la vie militaire. Afin de pouvoir se livrer tout enti e1· aux p roblèmes de phys ique qui l'occupaient, il donna sa démission .

-37Peu de temps apr ès, en 1824, il publiait son premi et· opuscule intitul é : " Ré(lc.cions sw· la putssance mulrice da ( eu ». Ses facultés d'obser·vation touj our·s en éveil avaient été frap.. pées de ce fai l que l e hasat·d seu i sembl ait diri ger !es pet·fectionnements in tr odui ts dans la di spositi on et l a constr·uction des machines a vapeut' . Il en tt·evoyait déj it, sans doute, l es cl es tinées de ce lle découver te qui a prépar é la ll'ansformation clu vi eux monde, tr·ansfot·mation que l'éleetr·icité poussera plus avant. Cct art, e:1cot·e si impat' fait en dépit de son importance et cl es résultats 6btenus, Sadi Carnot r ésol ut de l'éleyer au rang d'une science. L 'activilé de Sadi Camot venait de s'appJi .. quer à des t'echer ches importantes el nou veiJes su r la dilatati on compamtive des gaz, lorsqu'éclata à Pari s l 'épidémi e cholérique de 1832. Il fu t a ttein t de la contagion et enlevé, cn tr e l e;; bras de son frèr e. it la gi oit e do la stien te frança!se .

XIII ÉTUDES GÉNÉRALES; RÉVÉLATION D'OUTH.E-MAXCHE . - ENVO! DE L'ACADÉJ\IIE DES SCIENCES. PAPJERS DÉCOUVEF.TS APRÌ:S U?\ DE)li·SJ:ÈCLE . 1\-i. JOSEPH DER'fRAì\D. LA TIIERi\fODYNAMITE.-RÉPARAT!O~.-LE GÉ!\'lE LA FORCE MODERNE. Son livre sur la puissance motrice du l'eu fut , certes, accueilli avec faveur , mai s ne fit pas grande sensation. Ainsi qu'il arri ve souvent , c'est après sa morl. longtemps après, il y a quelques années seul ement, quc le génie de Sadi Carnot fu t révél é à l a France. D'où est venue cette révelation? De l'AngJeterre. · Un beaujour, nos savants furent toùt étonnés d 'apprendre qu'au-del à de l a Manche l'auteur des Ré(lexions sur la puissan.:e mot1·ice du {eu était considéré camme l e promoteur d'une

~ 39 révo}u ti on dans l a mécanique, co'm parabl e à celle CJLW Ics travaux ·cl es grands géomètr es ont détenninée vers la fi n du siècl e demier . Sa découver te était Jl lus géniale encore C]l1e !es savan ts ·ne J'avai en t inl<tginé d'abor d. Ils rappr iren t bi entòL avcc ,une admit·ation cr oissan te. Voi ci cc qui se pass'l : J"Académie des sciences s'émut de t:etLe nl pu tat ion l'ai te en pays étranger au fìl s de Carnot. Elle r ept·it, en l es étudi an t de pr ès, l es tlléol'ies de Sadi Cat,not. Quel ques i ngéniems osèrent >>"engaget· dans l a voi e qu' il av:1it ouver te. C'est aior s que, sur la dernande de plusiem p:;tcadém i ciens, M. H i ppo ly te Car·not son Jrè'r e, père cl u pr ési cl en t d:) l a Répub l ique, fìt cles r ecll erches dans ses papi er s, non feui lletés pendant . pr ès d'un àemi-si ècle. 11 y trouva quelques notes r ap ides , jusq u'al or s ignorées (l d71) o(t l'Academie eLlL la pr euve que Sadi Camo t avai t de- , va ncé de qui nze an s l es expét•iences de Hobert Mayet· sur l a pui ;o;sance du l'eu. M . Joseph Berteand, ' ct e l'Académi e f r·an- (:a i se, secrétai re perpétll el de J'Acadérnie cles sciences, dans ses l eçons de Thennodynam'ique jLJge <> insi l es décou yer tes de Sadi Cam ot: " L es r ernarqur s sur l e chan gement de température cl es gaz, dans un .éct·it justernent . admir<" (11!29) es t une cles preuves l es rnoins contestabl es du géuie pénétrant del'ameur .. . " Avant l'i mrnor tel opuscule publi é en 11:!:24 sous l e ti tr e cle: «.cl.éfl exi ons sut·la pui ssance motrice du t'eu »,on ne con n ~ i ssai t n i ne soupçonnait aucune r elati ou C' Il tre le trava il d'une n :achine ù vapeù r et la c!J aieur qu'elle n i et en

-40-. reuvre. Sadi Carnot en décla rant une !elle loi nécessaire, en a assuré la découverte... " Un lecteur per·spicace de J'opuscule aurait pu, dès J'année 1824, apercevoir un des plus beaux triomphes de la philosophi e naturelle da ns les propos iti ons , encore mal démontrées, qu·un critique judicieux conservait le dr·oit de repousser. ,, M. Bertra nd cite ensuite quelques-unes des notes retrouvés en 1871 : • Doutes ou proj ets, dit-i! , ell es montrent quel retard sa mort a apporté aux progrès de la science. " Parrni ces notes , se tr·ouve celle-ci, d'où découle le principe du théorème, appelé « théorème de Carnot." " La chaleur n'est autre chose que la pui ssance motrice, ou plutòt que le mouvement qui a changé de forme. C'es t un mouvement dans !es par ticul es du corps. Partout où il y a destruction de puissance motrice, il y a en mème temps production de cha leur· en qua ntité précisément proporti onnell e à la quanti té de pui ssance motrice détruite. Réciproquement, pa rtout où il y a destruction de chaleur, il y a production de puissance motri ce. " Pl us loin le secréta ire perpétuel de I'Académi e des sciences écrit : " On pourrait, en se rapprochant des idées de Carnot, subs tituer au pos tula tum de Cl ausius un axi òme un peu différ ent: " Pour que la chaleur produise du travai!. il est nécessaire que le corps qu'ell e quitte soit plus chaud que celui qui la r eçoit. " Bien que la renommée de son pèr e a it dépassé la s ienne, à cause du ròle joué par Je . grand'Carna i dans l'reuvre dc l'éma ncipation

-41et dela défense nation al es, il est cependant v rai de dire que ce fìl s eu t un génie plus rar e. Sadi Carnot, ainsi que le prouven t Jes énoncés scienti fì ques qu·on vient de lire, avait devin é avec son .intuition pui ssante une des Jois pll ys iques des tinées à m odifìer profondément !es principes m èmes de la sci ence contemporain e. L a concepti on actuell e de l a force est son ceuvr·e : elle "nous vien t de lui. Cei te supéri or·ité du lumineux esprit si prém atur·ément éteint n ·avait pas encor e été signa lée au grand publi c. Il nous a paru ìn !ér·essant de r endr·e aujourd"hui pl eine justi ce a celui des Car·not, en mémoi r·e de qui l e nouveau prési dent de l a Républi que r eçu t l e prénom de Sadi. .

HlPPOLYTE CA~NOT XIV LA MORT DV l'ÈRE. - RETOCR A PA!US. L 'ÉCOLE DE Dl\0!1" . - . !LLL"S!O:<S GÉ!<ÉHEUSES. LES SA I!<T-Sl.\IO:<!El'S. - 20,000 FRA:>CS. M. Lazare-Hippolyte Carnot, pèr·e de M. le pr·ésiden t de la Hépublique, e:;; t le second fils du gr and Carnot. De ci nq ans plus j eune que son rr·èr·e Sad i, il naqu it le 6 avril1801, ù SaintOmer·, où son père s"était mari é le 17 mai 1791. àgé de :38 ans, avec MIl e Mar· ie Dupont, ùgée de 26 ans. C'es t l a, dans sa rami Il e, que Mme Carnot v i n t rai r·e ses sccondes couches. L e j eune Hippol y te fit ses pr·em ièr es études à Pari s. Après W aterloo, i l su ivi t son pèr·e dans r exil et voyagea avec l ui en Bel gique, en Bavière, en Pologne. Apr·ès ètr e r es tés quelque temps à Var·sovi e, i ls vinr·ent S€ fixer a Magdebourg. Pendant sept années, le j eune homme r eGLILl es leçons de son pèr·e. I l y puisa l es plus nobl es sentiments d"indépendance et

-43ces principes de républicanisme austère qUI sont pour lui comme un patrimoine en m è me temps qu'une conviction. Il estdemeur é fidèle durani toute sa vie à celte traditi on de famille. Par une· juste récompense, ses enfants, qui la tiennen t de lui, y demeurent fidèles. Les douleurs de l'e'X ii, les réci ts de ce qui se passait en France, les excès de la r éaction royaliste, et sur tout J'amoindrissement de la Patrie avaient promptemimt altéJ'é la santé du grand Carnot. Son fils eut la douleur de lui fermer Jes yeux. . Son jeune àge avai t préservé Hippolyte Carnot de la proscription. La France ne lui élait pas interdite. Il y rentra et vint à Paris retrouver son frère alné, capitaine du génie, qui donna peu de temps après sa démission. Il avai t vingt-deux ans et avait passé plus de huit années en exil. Ses voy~ges avec son père ne lui avaient pas permis de suivre la carrière où tous !es siens étaient entrés. L'Ecole polytechnique lui était fermée. Il se fit inserire à J'Ecole de droi t. Sc.n nom, ses tendances, son éducation, tout le portai! vers !es luttes que soutenait la jeunesse d'alors contre la réaction triomphante. L'histoire, l'économie politique, la philosophie roccupaient. L'attrai! qu'exercent sur les jeunes esprits !es doctrines nouvelles, lui fil embrasser avec ardeu r le système saint-simonien, qui tendait, on le sait, bien plutòt à une révolution sociale qu·à un changement politique, à l'organ isation du travai! et de la richesse plutòl qu'à celle de l'Eta!. Les lhéories de Sain t-Simon élaient faites pou r séduire !es àmes généreuses. Les hommes !es plus re-

-44ma rquabl es de la génération de 1830 débutèrent par là. Cette doctrine a vai t du bon, puisque la plupart d~ ses discipl es et de ses apòtres se di stinguère n&, mème après la d1sperswn, pa r la dignité de leur vi e. . . . . Le jeune Camot rédigea l'Exposztzon gene- •·ale de la doct•·ine saint-sirnonienne, telle qu"il J' entendai t. Il préludait à une séparation. Lorsqu'il avait vu, en effet, J'Ecole abandonner son caractère purement philosophique pour se constituer en secte religieuse, et surtout lot·squ'Enfantin prétendit fai re prédominer ses fameuses théories sur la femme, il se retira publiquement, en mème temps que Bazard, Jean Reynaud, Ed. Charton, Pi erre Leroux, etc., et qualifia la nouvelle méthode d"Enfantin, " la réglementation de J'adultère » C'éta it en novembre 1831. Le mot eut un r etentissement considérable et contribua à J'insuccès fina! età la dispersion des membres, en février 1832, à la suite du procès du couvent de Ménilmontant. Le néophy te qui montrai t cette indépendance et ce courage, avai t cependant servi sa foi philosophique mieux que de son dévouement et de sa piume. Il avai t aban- . donné à la société 20,000 francs de valeurs. afin de faciliter la propagande.

xv ... . ~ . LA POLITIQUE. - 1830. DANS LA RUE. - JOURNALISTE. - LE CHOLÉRA. LA MORT D'UN FRÈRE. - DÉPUTÉ. LES RÉFORMES, Ce n'est pas seulement de sa fortune , c'est aussi de sa personne, qu'il payait, lorsque ses convictions étaient menacées. Aussi en 1830 fu t-il de ceux quidescendirentdans larue, ety firent leur devoir de citoyens. Remarqué, il devint membre de la municipalité de sonarrondissement. Mais Iorsqu'on lui offrit de hautes fonctions publiques, il !es refusa absolument, donnant le premier l'exemple du désintéressement à tous !es habiles, à tous !es avides, qui ne voient dans !es transformations de J'Etat qu'un moyen individuel et égoiste de parvenir. . Avant de se séparer de ses amis, il avait fait une active campagne de presse, comme rédacteur attitré des journaux saint-simoniens, le Producteur, le Globe, I'Organisatem·, com me

- 4brédacleur en chef de la Revue encyclopédique. L'Encyclopédie nouvelle le compia aussi dans sa rédaction. Il considérait a juste tiu·e l'instruction populaire camme un des moyens !es plus efficaces de l'amélioration du corps social. Aussi fu t-il d"abord secrétaire général et bieniòt président de la Société pour l'instruction élémentair·e. Il fonda le cornité polonais, que présida Lafayette, rendant ainsi dans une certaine mesure l'hospitalité que son père et lui avaient reçue autrefois a Var·sovie. Son amour de l'humanité ne s·arréta pas là: lorsqu"éclata sur Pa1·is, avec la rapidité et la violence don ton se souvient, l'épidémie cholérique de 1832, il fui du nombre des citoyens qui organisérent des bureaux pour porter des secours aux malades. Mais, par une fatalité qui fu t cruelle à son affection, son frère luiméme fu t allein t et il le vii mourir dans ses bras. La douleur l'arracha a ses travaux. Pour l'adoucir, il se remi t a voyageret visita successivement I"Angleterre, la Hollande et la Suisse. C'est encore une bonne ceuvre qui le rappela. Il fi gum. en 1835, parmi !es défenseuJ'S des accusés d'avr·il. l\:ommé président du Comilé électoral de Paris, il fut élu, en 1839, député du sixiéme arrondissement. Réélu en 1842 et 1846, il ne cessa de siéger a la gauche avec Dupont (de I'Eure), Arago, Crémieux, etc., et se prononça en toute circonstance pour toutes !es réformes poursuivies par le parti r épublicain. Le 24 févi' ier, il était nommé ministre de J'instruc!i on publique par le Gouvernement provisoire.

XVI LA RÉVOLUTION DE 1848 LA RÉPUBLIQUE GÉ:'iÉREUSE. J, U MINISTÈRE DE L ' INSTRUCTION PUBLIQUE. LES ÉCOLES PRIMAIR6: S. LA GRATUITÉ ET L'OBLIGATION.- L 'AGRIOOLTURE. LES ÉCOLES MATERNELLES. Le mini stère de J"instruction publique, en ces circonstances, n'était pas unesinécure. La Révolutwn de févri er fut , on peu t le dire, la révolution génér euse. Il sembl e que toutes !es améliorati ons révées par !es philosophes a ient été le mème j our adoptées par la France. Aucune vertu ne manque aux citoyen~, se disait-on, et le devoir du gouvernement provisa ire est de mettre toutes ces vertl.is en ceuvre. Jl en fallut rabattre, dès qu·il s 'agi! de r app!Jcation. Mais qui oserait bl amer ces illusions ? Celte génération n'eut que le tort ca· Pital de croire trop ingénumen t et trop obsti-

-48nément au bien, au désintéressement, à toutes les qualités rayonnantes qui sont l'essence méme du caractère français. C'est cette illusion du peuple et de ses représentants qui permit à l'héritier du nom de Bonaparte, prince né en Allemagne et élevé en Angle, terre, d'abuser la bonne foi du suffrage universel que J'ignorance rendait si facile à leurrer, et de substituer le césarisme démocratique le plus trompeur à la République la plus soucieuse de l'instruction et du bien-étre des petits. Ce bel optimisme des àmes honnétes et douces est un des caractères de la pe1·sonnalité de M. I-Iipolyte Carnot. On en retrouve l'écho dans ~e qu'il éci'ivait de lui-méme à cette époque : " Elevé dan::=; un sanctuaire de vertus civiques inspirées par le républicanisme, j'ai appris de bonne heure à aimer la République. Je l'ai désirée en 1830, je la bénis en 1848 etje m'y trouve si bien qu'il me semble revivre dans la r:p.aison paternelle », Ces paroles, toutes vibrantes de la tendresse qu'il conserve, comme un culle, pour la mémoire de son illustre père, ce n'est pas sa nouvelle dignité qui !es lui inspirai t Il n'ét~H déjà plus ministre lorsqu'il !es écrivit. Son passage à l'instruction publique fut court. Voici pourquoi. En arrivant au pouvoir, M. Carnot, aussi modeste que plein du désir d'accomplir vite !es réformes que réclamait. le nouvel état social inauguré pa1· l'étahlissement du suffrage universel, appela autour.de lui ceux de ses amis du saint-sirponisme dont !es lumières et !es intentions lui semblaient le mieux concordar avec ses projets et avec I'P.sprit de la République nouvelle.

-49Jean Reynaud, Charfon, Renouvier, devinrent ses collaborateurs. Avec eux, il élabora le pt·ojet de loi qui complétait en quelque sorte le droit devote donnéà tous pari e droil de tous à l'instmction primaire. Son projet. dom l'expose est r emarquable, comme ses circulaires ministérielles, était fondé à la fois sur !es principes de la liberlé d'enseignement, de l'instruction obli gatOtre et de la graluité. La troisième République seule devait mettre à exéculion cette loi démocratique dont M. Carnet peut, à bon droit, revendiquer la paternité lointaine. En mème temp3, il instituait une commis· sion des hautes éluàes scientifìques etlilléraires, décrétait da gratuilé de l'Ecole normale, fondai! J'Ecole d'administration que M. de Falloux devait délruire peu de temps après . Voi là pour !es esprits culttvés. Pour le peuple, il ot·ganisaitles leclures du soir destinées aux ouvriers, ouvrait un concours pour les chants nationaux, et comprenant la vérilé du mot de Sully, intt·oduisait l'enseignement de l'agriculture dans les écoles primaires, fournissant ai n:oi aux habitants des campagnes le moyen deserenseignersurles méthodesde culture !es plus avantageuses el les plus perfectionnées. C'est lui enfìn, c'est son cceur bon qui donna aux sali es d'asile de l'enfance le titre d'Ecoles maternelles. Toutes ces r éformes ne faisaient point l'affaire de la réaction, ni des bure~ux, les fameux bureaux don t l'omnipotence e:;,_ f<lrce d'inertie n'ont pas encore cessé d'entraver la benne volonté des ministres. Le conseil de I'Universilé se joignit, du reste, aux bUI eaux pour paralyser J"activité bienfaisante de M. Camo t.

-50Ce ne fu t pas tout. Gomme ses collègues, comme ses amis, !es hommes de Février, le ministre de l'instruction publique fut en butte aux attaques !es plus injustes et !es plus contradictoires. Pour avoir écrit dans une de ses circulaires, pleines de sagesse et de raison, qu'un paysan pauvre et sans instruction, mais ayant du bon sens et de l'expérience, pourrait n'èti'e pas déplacé sur les bancs de l'Assemblée nationale, il fu t accusé, lui, l'auteur du projet sm·l 'instruction gratuite et obligatoire, de fai re l'éloge de l'ignorance l Telle est la bonne foi et la logique des par tis !

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